Préface de Pascal Payen Appenzeller
"Notre OPERA
Un soir chaud, attablé à la terrasse du Café de la Paix, Oscar Wilde s‘est levé et tous les convives en même temps, à la vision d’un angle planant dans l’air doré du boulevard des Capucines. L’Apollon du fronton de la scène, ou plus exactement son image, voyageait grâce à la lumière comme nous voyageons entre obscurités et clartés extrêmes lorsque nous explorons l’Opéra, de ses tréfonds à ses olympes des dieux et des hommes.
Charles Garnier a d’abord construit un puits central à large diamètre qui s’élève de niveaux en espaces pour être enfin couronné par la fameuse coupole : un baptistère secret est ainsi dessiné autour duquel se développe la croix des points cardinaux et des autres entrées, soit du Nord à l’Ouest, les accès réservés aux artistes, abonnés, public et, celui pour lequel a été érigé le nouvel Opéra, le chef de l’état impérial, Napoléon III qui n’en profitera jamais suite au changement de régime.
Le monument est traversé en son milieu par l’axe de l’avenue de l’Opéra qui, passant par le buste de l’architecte par Carpeaux, disposé au centre du Grand Foyer et par la porte étroite, gardée par la Comédie et la Tragédie, qui donne accès à la salle, après la montée des escaliers successifs qui nous conduisent vers le Temple.
La couleur, omniprésente grâce au jeu des matériaux, minerais, mosaïques, peintures, et autres supports expressifs, met en scène un récit en mouvement gouverné par l’architecture et qui constitue un équivalent plastique de ce qui se passe sur scène. Le hiératique et le gracieux, la morale et la haute symbolique, le nationalisme et l’immortalité, la noblesse d’un décor qui encadre le quotidien et regarde notre humanité du haut de l’idéal, ordonnent la forêt vierge de cette culture foisonnante qui hérite et transmet.
Mercure règne aussi bien en haut du grand escalier où il est élégamment assis au milieu de l’Olympe, que lorsqu’il donne ses attributs à Charles Garnier qui regarde sa femme incarnant Amphitrite. Au pays de l’imagination (au sens premier), ont œuvré des jeunes gens – cette équipe de constructeurs, d’artisans et d’artistes dont Charles Garnier était l’incarnation inspirée, qui rêvaient de l’Italie et venaient de la Grèce en n’oubliant pas Byzance. On n’a encore jamais écrit de livret prenant pour héros et source dramatique l’encyclopédie exposée sous nos yeux. Qui s’y risquera ?
Des cabestans du cinquième dessous à la Sybille de Marcello et à la Danse de Carpeaux revue par Belmondo, des pierres précieuses simulées par les mosaïques de l’avant-foyer aux allégories du travail et des vertus, partout l’incorporation de la Sophia et de l’Ubris dans la matière provoque une émotion qui nous transforme en « spectateurs » les uns des autres. Insinuant peu à peu en chaque visiteur, une délicieuse légèreté faite d’une suite d’équilibres et de basculements, cet ordre sublimé par le chaos de la mémoire ranimée nous précipite dans les vertiges de l’étonnement et de l’admiration. Jérôme Clochard aura capté la naïveté majestueuse de l’Opéra Garnier à l’anthologie (introuvable) de morceaux de l’Art et l’Homme."
Pascal Payen Appenzeller
Expert stratigraphe du Patrimoine, Secrétaire Général du Geste d'or, Historien de Paris, de l'Architecture et des Métiers, Poète. Collectionneur d'Art contemporain.
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